Discours de Madame la Conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey
Cheffe du Département fédéral des affaires étrangères

prononcé à l’occasion de la soirée du Forum International Médias Nord Sud

Genève, 8 septembre 2009
Seul le texte prononcé fait foi

Excellences,
Monsieur le Président du Grand Conseil,
Monsieur le Président du Conseil d’Etat,
Mesdames et Messieurs les Conseillers d’Etat,
Mesdames et Messieurs,

L’an dernier, pendant quelques mois, un concours de circonstances exceptionnelles a porté la question alimentaire au centre de l’intérêt public. Depuis lors, la crise financière et le chômage occupent le devant de la scène et la faim, souffrance et défi quotidien permanent des plus pauvres parmi nous, est redevenue invisible. Cette rencontre la remet à l’ordre du jour et je suis heureuse d’y apporter ma contribution.

Les dimensions économiques et environnementales, les contraintes naturelles et les dynamiques économiques qui sont à l’origine de la flambée récente des prix des biens alimentaires sont connues et reconnues.

Il est aussi admis que l’économie globale, si elle continue sur sa trajectoire actuelle de pillage de l’air, de l’eau et du sol, ne sera pas en mesure de couvrir les besoins alimentaires d’une population mondiale qui est encore croissante et cela même si de nouvelles innovations technologiques comparables à celles qui ont transformé l’agriculture dans les dernières décennies pouvaient être introduites rapidement et généralisées.

Mesdames et Messieurs,

La réponse que la communauté internationale se doit d’apporter au renforcement de la sécurité alimentaire se construit sur le long terme autour de quelques défis centraux:

1. La crise alimentaire a souligné la nécessité d’investir dans l’agriculture. Les dépenses en agriculture des pays en voie de développement eux-mêmes, mais également des institutions financières internationales et des pays donateurs ont fortement diminué depuis les années 80. Alors que l’aide au développement consacrée à l’agriculture était de 18% dans les années 80, elle n'est plus que de 4% aujourd’hui.

2. Longtemps, le modèle économique prôné par les institutions financières internationales et la communauté des pays donateurs était basé sur une orientation indifférenciée vers le marché. Le renforcement de la petite agriculture familiale a été absent de la plupart des stratégies de lutte contre la pauvreté des pays en développement. Le prix à payer pour avoir cru que le développement pouvait se réaliser sans se préoccuper de cette forme de production et de la distribution d’aliments se reflète aujourd’hui dans les indices de pauvreté et dans la persistance de la faim.

Nous avons la conviction qu’il faut avant tout investir dans une agriculture multifonctionnelle et durable. Cette agriculture doit être d'abord nourricière des campagnes et des villes et permettre aux paysannes et aux paysans de dégager des revenus qui les éloignent de la pauvreté. Ceci est d’autant plus important pour les pays en développement dont une grande partie de la population dépend de l'économie agraire.

3. Des critères exigeants de durabilité sociale et environnementale doivent être introduits au niveau international afin d’éviter de détourner de manière significative l’agriculture vers la production de biocarburants.

4. La concentration croissante des entreprises agroalimentaire et des intermédiaires a réduit le nombre de partenaires commerciaux des petits paysans, et ce sont ces partenaires commerciaux qui actuellement définissent les règles du jeu, à commencer par les prix. Force est de constater que des relations de pouvoir toujours plus déséquilibrées s'exercent  au détriment des pays en développement et des petits paysans.

5. Le changement climatique, la déforestation, la pénurie d’eau et la détérioration des terres riches en substances organiques sont à la fois des conséquences et des causes de la désertification qui met en danger la production alimentaire. Il est reconnu que l'impact de la modification des régimes climatiques ne favorise pas la production alimentaire. Les pays pauvres situés en régions arides et sèches seront les plus affectés par des conditions de production dégradées, poussant les populations rurales à chercher de quoi survivre dans des villes inhospitalières et déjà surpeuplées.

6. Les règles actuelles qui régissent le commerce mondial et qui visent à promouvoir l’exportation de produits agricoles du Nord, fortement subventionnés, vers les marchés des pays en développement sont à revoir de manière conséquente afin qu’elles soient aussi bénéfiques aux produits agricoles des pays en développement.

Mesdames et Messieurs,

Il convient de s’atteler sans réserve et sans perte de temps à résoudre ces problèmes. La faim, sauf en cas de guerre, ne résulte pas d’un manque de biens alimentaires sur le marché, mais plutôt de politiques économiques et sociales qui ne se préoccupent pas du sort des plus pauvres parmi nous et ne corrigent pas les énormes inégalités d’influence et de pouvoir d’achat qui caractérisent notre société globale et la grande majorité des nations. 

Même dans le futur, l’augmentation importante de la production alimentaire restera seulement une condition nécessaire pour combattre la faim, car l'aspect  troublant du phénomène de la malnutrition humaine est sa nature éminemment politique. Permettez-moi quelques considérations à ce propos.

Les racines politiques de l’insécurité alimentaire et de la faim sont de nature nationale et internationale.

La dimension nationale est avant tout définie par l’organisation de l’Etat et l’espace que cet Etat laisse à l’exercice des libertés et à la  participation citoyenne. Les politiques appliquées par les gouvernements en matière économique, de taxation et de subsides sont décisives, car elles déterminent l’accès des populations pauvres à une alimentation suffisante et variée.

Les règlementations et les pratiques internationales, surtout celles régissant le commerce mondial et les transactions financières globales, exercent toutefois une influence considérable sur les pratiques nationales et restreignent la souveraineté en matière alimentaire des gouvernements et des parlements des pays les moins avancés.

Dans le passé comme aujourd’hui, les guerres et les conflits armés ont été la source des famines les plus extrêmes, celles capables d’exterminer des populations entières. Dans la région du Darfour, dans la Corne de l’Afrique, à l’Est de la République Démocratique du Congo nous observons une telle réalité, brutale et inacceptable. L’aide humanitaire - si elle accède aux victimes – peut dans ces situations alléger le sort des populations. Reste que seul la paix et la stabilité qui résultent de la résolution juste des conflits peuvent créer les conditions de base du rétablissement de la sécurité alimentaire. C’est l’une des raisons qui me poussent à engager tous les moyens de la politique extérieure Suisse au service des efforts internationaux de promotion de la paix.  Nous le faisons dans quelques unes des zones les plus marquées par la violence, là ou notre pays peut apporter une contribution concrète et spécifique.

Mesdames et Messieurs,

Si les famines s’expliquent souvent par des crises politiques aiguës, la faim chronique dont souffrent des centaines de millions de personnes est révélatrice d’injustices sociales et du manque de droits individuels et collectifs.

A cause de la nature sociale de la faim, seuls des citoyens instruits, informés et protégés par la loi dans leurs droits fondamentaux sont en mesure de faire face à la pauvreté et à la famine. Armés de ces capacités, ils peuvent engager des actions afin de promouvoir leurs droits sociaux et exiger des interventions publiques adaptées à leurs besoins. La sécurité de la propriété foncière est essentielle pour les femmes comme pour les hommes. Une formation de base adéquate permet de comprendre la société moderne et saisir les opportunités ouvertes par l’expansion des marchés. L’alphabétisation et la conscience des droits permettent aux groupes défavorisés de résister à l’exploitation pratiquée par les intermédiaires, les administrations et les représentants de l’Etat.

Il est aussi essentiel que les petits producteurs puissent exercer la liberté d’expression et d’association pour faire valoir leurs droits. Par des initiatives collectives, ils influencent en leur faveur les politiques de développement rural et de sécurité alimentaire. En situation de libertés, les populations vulnérables peuvent aussi se battre, surtout en zone urbaine, contre le renchérissement rapide et important des biens alimentaires de première nécessité. Pour ces raisons, il est plus facile d’obtenir des résultats dans la lutte contre la faim en régime démocratique que dans un Etat autoritaire ou dans un régime totalitaire. J’exige ainsi de l’aide humanitaire et de la coopération au développement de la Suisse une action qui ne se limite pas à  l’aide immédiate et à la recherche de solutions techniques et institutionnelles aux problèmes du développement, mais aussi un engagement déterminé pour la formation de citoyens, pour le respect des droits individuels, pour les libertés d’expression et d’association ainsi que pour la promotion d’institutions politiques décentralisées et participatives.

Le Brésil nous démontre justement que le combat contre la sous-alimentation peut être mené et gagné sur mandat populaire. Je me réjouis donc que ce pays soit l'invité de cette édition du Forum International Media Nord Sud.

Dès le début de son premier mandat, le Président Lula da Silva a déclaré la lutte contre la sous-alimentation et l'extrême pauvreté comme priorité absolue de son gouvernement.  Aujourd'hui nous pouvons déjà voir et apprécier les résultats du Programme "Faim Zéro" lancé en 2003. Les succès de cette expérience devraient inspirer l’action d’autres gouvernements de pays émergents. Nous sommes intéressés à collaborer avec le Brésil pour promouvoir ces échanges.

Mesdames et Messieurs,

Je l’ai dit, je voudrais le souligner: La sécurité alimentaire des pays connaissant la faim comme phénomène diffus et endémique est fortement influencée par le régime international qui règle les échanges de matières premières. La politique de commerce agricole poursuivie par les pays industrialisés joue dans ce contexte un rôle déterminant. Les subsides à l’exportation octroyés par les pays riches et leurs barrières douanières rendent plus difficile la création d’une agriculture soutenable. Ils  favorisent la pénétration de produits agricoles du Nord dans les pays les moins avancés. Ils affectent négativement le revenu des agriculteurs et l’ensemble du développement rural.

Dans ce domaine, la démocratie des pays occidentaux représente un obstacle réel au changement et à l’amélioration de la sécurité alimentaire. En effet, les intérêts particuliers des agriculteurs et des industries agro-alimentaires trouvent souvent la compréhension des électeurs du Nord. Ces derniers tendent à surestimer les coûts de l’ajustement structurel de « leur » agriculture par rapport aux bénéfices que les pays les plus pauvres tireraient d’une plus grande participation au commerce international agricole.

L’établissement d’une sécurité alimentaire globale exige certainement la mobilisation de ressources considérables pour l’investissement dans la technologie, les infrastructures, la recherche agricole et des institutions appropriées. Elle demande aussi la création d’un système de gouvernance international transparent, dans lequel sont débattues la cohérence et la compatibilité des politiques agricoles pratiquées par les pays industrialisés et des pays émergents avec les impératifs de la lutte contre la pauvreté et la faim. La Suisse participe à cette recherche, consciente que la compréhension et l’adhésion de la population de notre pays à une telle vision ne va pas de soi et exige de l’information et des débats comme ceux que vous avez organisés ou auxquels vous participez ces jours.
 
Je terminerai  en renouvelant tous mes vœux de succès à cette 25e édition du Forum qui marque aussi 25 ans de partenariat avec le Département fédéral des affaires étrangères et sa Direction du développement et de la coopération.

Je vous remercie de votre attention et vous souhaite une très bonne soirée.